Les différentes formes de biphobie

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La biphobie, cette discrimination spécifique visant les personnes bisexuelles, reste souvent un angle mort dans les discussions sur les LGBTQIA+phobies. Pourtant, ses manifestations sont multiples, insidieuses et profondément ancrées dans nos représentations sociales, au point d’être parfois intériorisées par les concerné·e·s eux-mêmes. Loin d’être un phénomène monolithique, elle se décline sous différentes formes, chacune avec ses mécanismes propres et ses conséquences dévastatrices sur la santé mentale et le bien-être des individus. Cet article se propose de décortiquer en profondeur ces différentes facettes de la biphobie, pour mieux les reconnaître, les comprendre et, in fine, les combattre.

📚 Table des matières

formes de biphobie

La biphobie intériorisée : l’ennemi intérieur

La forme la plus pernicieuse de biphobie est souvent celle que les personnes bisexuelles s’infligent à elles-mêmes. La biphobie intériorisée est le processus par lequel un individu, ayant grandi dans une société hétéronormative et monosexiste, intègre et adopte les croyances négatives, les stéréotypes et les préjugés concernant la bisexualité. Ce phénomène psychologique crée un conflit interne profond entre l’identité réelle et les messages négatifs internalisés. Les manifestations sont variées et douloureuses : un sentiment persistant d’illégitimité (« suis-je assez bi ? »), des doutes constants sur sa propre sexualité (« ce n’est qu’une phase »), une honte de son attirance pour plusieurs genres, ou encore la minimisation de son identité (« je préfère ne rien dire »). Cette autocritique permanente peut mener à une anxiété chronique, une dépression, et un isolement social, car la personne se sent incapable de s’accepter pleinement. Elle peut aussi pousser à des comportements d’auto-sabotage, comme rester dans le placard indéfiniment, éviter toute relation qui pourrait confirmer son identité, ou même tenter de se « forcer » à être hétérosexuel ou homosexuel pour correspondre à une catégorie socialement plus simple et acceptable.

La biphobie interpersonnelle : le rejet au quotidien

La biphobie interpersonnelle se manifeste dans les interactions directes entre individus. C’est la forme la plus visible et la plus couramment reconnue. Elle émane de la famille, des ami·e·s, des collègues et des partenaires amoureux. Les remarques et comportements peuvent être directs et agressifs : insultes, moqueries, rejet parental, violences physiques. Mais elle est souvent plus subtile, prenant la forme de micro-agressions quotidiennes qui, cumulées, deviennent extrêmement nocives. Parmi les plus courantes, on trouve la fétichisation (« un plan à trois avec un couple bi, c’est mon fantasme »), qui réduit la personne à un objet de gratification sexuelle sans considération pour son humanité. Le questionnement incessant et intrusif sur sa sexualité (« comment tu sais que tu aimes les deux ? ») place la personne dans une position constante de justification de son existence. Le rejet par un partenaire qui, découvrant la bisexualité de l’autre, met fin à la relation par méfiance ou insécurité est également une violence courante. Ces actes envoient un message clair : ton identité est un problème, elle est incomprise, indésirable ou menaçante.

La biphobie institutionnelle : quand le système discrimine

Cette forme de biphobie est intégrée dans les structures, politiques et pratiques des institutions sociales, gouvernementales, médicales et légales. Elle est souvent systémique et donc plus difficile à identifier et à combattre. Dans le système de santé, elle se traduit par un manque criant de formation des professionnel·le·s sur les spécificités des personnes bisexuelles. Les études montrent que ces dernières sont moins susceptibles de divulguer leur orientation sexuelle à leur médecin par crainte de discrimination, ce qui a un impact direct sur la qualité des soins. Dans le domaine juridique, les définitions des crimes haineux ou des discriminations peuvent être floues ou ne pas inclure explicitement la bisexualité, rendant les poursuites difficiles. Sur le lieu de travail, l’absence de politiques inclusives spécifiques et la tolérance envers les blagues et remarques biphobes créent un environnement hostile. Même dans les enquêtes et recensements officiels, l’effacement est flagrant : les formulaires obligent souvent à choisir entre « hétérosexuel » et « homosexuel », invisibilisant complètement la bisexualité et empêchant la collecte de données cruciales sur les besoins de cette communauté.

L’effacement et l’invisibilisation bisexuelle

L’invisibilisation est une forme de violence symbolique particulièrement répandue. Elle consiste à nier, ignorer ou rendre inexistante la bisexualité en tant qu’identité valide et distincte. Dans les médias, les personnages bisexuels sont rares, et lorsqu’ils existent, leurs histoires sont souvent traitées comme une phase confuse, un caprice, ou un trait de caractère trompeur et manipulateur. Leurs relations avec un genre sont utilisées pour les étiqueter définitivement comme « devenu·e » hétéro ou gay/lesbienne, effaçant ainsi leur identité plurielle. Dans le langage courant, l’invisibilisation se manifeste par l’utilisation du terme « gay » comme terme parapluie pour toutes les orientations non-hétérosexuelles, ce qui éclipse la spécificité bi. Le concept de « monosexualité » (attirance pour un seul genre) est si dominant que l’attirance pour plusieurs genres est considérée comme impossible, incompréhensible ou nécessairement temporaire. Cet effacement constant a un impact psychologique profond : il prive les personnes bisexuelles de modèles auxquels s’identifier et envoie le message que leur existence n’est pas réelle ou digne d’être représentée.

La biphobie dans les communautés LGBTQIA+

Ironiquement et tragiquement, les personnes bisexuelles font souvent face à une discrimination et à un rejet de la part des communautés gay et lesbienne, qui devraient pourtant être des espaces de refuge. Cette biphobie intra-communautaire est une blessure particulièrement profonde. Elle se base sur des préjugés tenaces : les personnes bi sont perçues comme des traîtres, profitant des « privilèges » hétérosexuels tout en réclamant une place dans la communauté queer ; comme des indécis·es qui n’assument pas leur « vraie » homosexualité ; ou comme des propagateurs·trices de maladies, passant « d’un monde à l’autre ». Elles sont accusées de renforcer les stéréotypes homophobes ou de simplement chercher de l’attention. Cette méfiance se traduit par l’exclusion des espaces safe LGBTQIA+, le rejet par des partenaires potentiel·le·s gay ou lesbien·ne·s, et des remarques blessantes (« tu n’es pas assez queer », « choisis ton camp »). Cette marginalisation au sein même de la communauté qui est censée les accueillir amplifie leur isolement et leur détresse psychologique, créant un sentiment de ne appartenir nulle part.

Les stéréotypes et mythes biphobes

La biphobie est alimentée et entretenue par un ensemble de stéréotypes et de mythes culturellement enracinés. Ces croyances fausses mais persistantes servent à délégitimer et à pathologiser la bisexualité. Le mythe de l’infidélité et de l’incapacité à se satisfaire d’un seul partenaire est l’un des plus destructeurs. Il postule qu’une personne bi aura inévitablement besoin de relations avec plusieurs genres simultanément, confondant ainsi orientation sexuelle (attirance) et pratique relationnelle (monogamie ou non-monogamie éthique). Le mythe de la confusion et de la phase affirme que la bisexualité n’existe pas et n’est qu’une étape transitoire vers une « vraie » orientation, stable et monosexuelle, niant ainsi la validité et la permanence de l’identité bi pour de nombreuses personnes. Le stéréotype de la sexualisation excessive, particulièrement appliqué aux femmes bisexuelles, les réduit à des objets de désir hétérosexuel masculin, tandis que les hommes bis sont souvent stigmatisés comme étant nécessairement porteurs du VIH et donc « dangereux ». Ces stéréotypes, en plus d’être faux, justifient et normalisent les discriminations en fournissant une base pseudo-logique à la haine et au rejet.

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