L’évolution de sens au travail au fil du temps

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L'évolution de sens au

Pourquoi travaillons-nous ? La réponse à cette question apparemment simple a radicalement changé au fil des siècles, des décennies, et même des années. Le sens que nous attribuons à notre labeur est le reflet de nos sociétés, de nos économies, de nos technologies et, surtout, de notre psyché collective. Il ne s’agit plus seulement de gagner sa vie, mais de construire une vie qui vaut la peine d’être vécue. Cet article plonge dans les méandres de cette évolution fascinante, explorant comment notre relation au travail s’est transformée, des champs médiévaux aux open spaces digitaux, et ce que cela révèle de nos aspirations les plus profondes.

L’ère pré-industrielle : Le travail comme nécessité et vocation

Avant les bouleversements de l’industrialisation, le travail était inextricablement lié à la survie et à l’identité communautaire. Dans les sociétés agraires, le paysan travaillait la terre pour se nourrir, lui et sa famille. Le sens était immédiat, tangible et vital. Le fruit de son labeur était directement consommable ou échangeable. Le travail était rythmé par les saisons, le soleil et la nature, créant un cycle de vie prévisible, bien que souvent brutalement difficile. Parallèlement, dans le système des corporations médiévales, le travail artisanal revêtait une dimension profondément vocationnelle et spirituelle. L’apprenti, le compagnon et le maître progressaient dans une hiérarchie stricte où la réalisation d’un objet de qualité – un meuble, une chaussure, une pièce de tissu – était une quête d’excellence et une offrande à Dieu. Le travail était un devoir, une « ora et labora » (prie et travaille) bénédictine, où la valeur morale de l’effort était centrale. L’identité d’un individu était littéralement son métier : on était forgeron, boulanger, tisserand. Le sens provenait de l’utilité immédiate de sa production, de la reconnaissance au sein de sa guilde et de sa petite communauté, et de la croyance que son effort participait à un ordre divin et social.

La révolution industrielle : La naissance de l’aliénation et la perte de sens

Le 18e et le 19e siècle marquent une rupture cataclysmique dans la relation au travail. L’exode rural massif et la concentration des ouvriers dans les usines et les mines créent une dissociation profonde entre le travailleur et le fruit de son travail. C’est le concept d’aliénation, théorisé par Karl Marx, qui prend tout son sens. L’ouvrier à la chaîne ne produit plus un objet entier dont il peut être fier ; il répète une tâche parcellaire, infinitésimale et monotone, sur un produit qui ne lui appartient pas. Le sens du travail se réduit alors à un seul aspect : le salaire. Le travail devient une pure marchandise, une force vendue contre de l’argent pour survivre. La psyché collective est marquée par la fatigue, l’abrutissement et un profond sentiment d’impuissance. Les journées de 14 à 16 heures, dans des conditions dangereuses et insalubres, ne laissent aucune place à l’épanouissement ou à la quête de sens. Le travail est une malédiction nécessaire, une souffrance endurée pour la simple subsistance. Cette période a instillé une fracture durable entre le temps de « travail » (associé à la contrainte) et le temps de « loisir » (associé à la liberté), une dichotomie qui influence encore aujourd’hui notre conception de la vie.

L’ère managériale du 20e siècle : La quête de motivation et d’épanouissement

En réaction à la déshumanisation de l’ère industrielle, le 20e siècle, particulièrement après la Seconde Guerre mondiale, voit émerger une nouvelle préoccupation : la motivation et le bien-être du travailleur. Les théories des relations humaines, initiées par l’expérience Hawthorne puis par des penseurs comme Elton Mayo, mettent en lumière que les performances ne dépendent pas seulement de conditions matérielles, mais aussi de facteurs psychosociaux comme la reconnaissance, l’appartenance à un groupe et le sentiment d’utilité. Le taylorisme, qui avait poussé la parcellisation du travail à l’extrême, est progressivement tempéré. La psychologie du travail se développe et des figures comme Abraham Maslow, avec sa pyramide des besoins, offrent un nouveau cadre de pensée. Le sens au travail n’est plus un luxe, il devient un levier de performance. Les entreprises commencent à proposer des avantages sociaux (mutuelle, cantine, activités), une certaine sécurité de l’emploi (avec l’apogée du CDI et du « job à vie » dans les Trente Glorieuses), et une promesse de carrière et d’évolution. Le sens se déplace de la simple rémunération vers la sécurité, l’appartenance à une « famille » d’entreprise et l’estime de soi gagnée par la promotion hiérarchique.

La fin du 20e siècle : L’émergence de la quête de sens individuelle

À partir des années 1970-1980, le paysage économique se fracture. Les crises pétrolières, la montée du chômage de masse et la révolution néolibérale remettent en cause le modèle de l’emploi à vie et de la grande entreprise protectrice. La précarité fait son retour. Paradoxalement, c’est dans ce contexte d’insécurité que la quête de sens individuelle s’intensifie. La génération du baby-boom, mieux éduquée et ayant connu une certaine prospérité, commence à questionner l’autorité et le modèle traditionnel du « métro-boulot-dodo ». Le travail n’est plus seulement un moyen de gagner sa vie ou d’obtenir une sécurité ; il doit aussi permettre de se réaliser, d’exprimer sa personnalité et ses talents. Les théories sur l’engagement au travail et la qualité de vie au travail (QVT) se multiplient. Le livre « Le Prix de l’excellence » de Tom Peters et Robert Waterman en 1982 popularise l’idée que la culture d’entreprise et la valorisation des employés sont des atouts stratégiques majeurs. Le sens devient une négociation personnelle : en échange de leur flexibilité et de leur engagement, les salariés attendent de l’autonomie, des défis stimulants et un environnement de travail agréable.

Le 21e siècle et l’ère numérique : La recherche d’impact et d’alignement avec ses valeurs

L’avènement d’internet, de la globalisation et de l’économie de la connaissance accélère et radicalise la quête de sens. Le salaire et les conditions de travail, bien que toujours importants, ne suffisent plus. Une nouvelle génération, les millennials puis la Gen Z, arrive sur le marché du travail avec une exigence sans précédent : que leur job ait un impact positif sur le monde et soit parfaitement aligné avec leurs valeurs personnelles. Des notions comme la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), la diversité, l’inclusion et la durabilité environnementale deviennent des critères décisifs de choix employeur. Le développement personnel et professionnel est central. Le modèle du « slasheur » (exercer plusieurs métiers en parallèle) se répand, permettant de combiner une activité alimentaire avec une passion qui a du sens. La technologie, en permettant le télétravail et une plus grande autonomie, offre aussi la promesse d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Le sens au travail au 21e siècle est donc multidimensionnel : il doit procurer un revenu, mais aussi un épanouissement, un impact, un apprentissage continu et une flexibilité pour construire sa vie idéale.

Les défis contemporains : Burn-out, bore-out et la grande démission

Cette quête exacerbée de sens, couplée aux nouvelles pathologies du monde du travail, a engendré des phénomènes psychosociaux massifs. Le burn-out, ou syndrome d’épuisement professionnel, est souvent la conséquence d’un investissement démesuré dans un travail auquel on accorde trop d’importance, jusqu’à l’effondrement. À l’inverse, le bore-out, ou syndrome d’épuisement par l’ennui, naît de l’absence totale de défis et de sens dans des tâches perçues comme inutiles ou déqualifiantes. Ces deux faces d’une même médaille révèlent l’intolérance croissante à un travail qui ne répond pas à nos besoins psychologiques fondamentaux d’accomplissement et d’utilité. Le mouvement de la « Grande Démission », amplifié par la pandémie de Covid-19, est l’expression la plus visible de cette crise du sens. Des millions de personnes à travers le monde ont quitté volontairement leur emploi, non par manque d’opportunités, mais par refus de retourner à un modèle perçu comme aliénant. Ils ont choisi de privilégier leur santé mentale, leur bien-être et la recherche d’un travail qui corresponde enfin à leurs aspirations profondes. Ce phénomène est un signal psychologique fort adressé au monde économique : le sens n’est plus une option, c’est une condition sine qua non de l’engagement.

L’avenir du sens au travail : Vers une intégration holistique de la vie professionnelle et personnelle

Alors, vers quoi évolue le sens au travail ? La tendance semble être à une intégration de plus en plus fluide, voire à une fusion, entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Non pas dans le sens d’un envahissement du travail dans la sphère privée, mais dans une recherche d’harmonie et de cohérence. Les notions de « purpose » (raison d’être) et d’ »ikigai » (concept japonais signifiant « raison de vivre ») deviennent centrales. L’idéal est de trouver une activité à la confluence de ce que l’on aime, de ce en quoi on est bon, de ce dont le monde a besoin et de ce pour quoi on peut être payé. Le travail du futur sera probablement plus project-based (par projet), plus collaboratif et plus flexible. L’entreprise n’est plus perçue comme une simple pourvoyeuse d’emploi mais comme une communauté porteuse de valeurs et un acteur du changement sociétal. Pour l’individu, le sens ne sera plus trouvé uniquement dans le poste ou le titre, mais dans le parcours global, les compétences développées, les rencontres faites et l’impact généré. La frontière entre « travail » et « vie » s’estompera au profit d’une « vie professionnelle » qui est une composante à part entière, épanouissante et significative, d’une « vie tout court » accomplie.

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