Mythes et réalités à propos de sens au travail

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Le sens au travail est devenu le Graal moderne. Dans un monde professionnel en constante mutation, marqué par l’accélération des rythmes et les remises en question post-pandémie, la quête de signification dans notre vie professionnelle n’a jamais été aussi prégnante. Pourtant, cette quête est souvent entourée d’idées reçues et de croyances qui peuvent, paradoxalement, nous éloigner d’un véritable épanouissement. Entre les injonctions à « suivre sa passion » à tout prix et la vision parfois idéalisée du « job parfait », il est temps de démêler le vrai du faux. Cet article se propose de passer au crible les mythes les plus tenaces sur le sens au travail pour révéler les réalités souvent plus nuancées, mais aussi plus accessibles, qui se cachent derrière.

📚 Table des matières

Mythes et réalités à

Mythe n°1 : Trouver un travail qui a du sens est une quête individuelle et solitaire

L’un des récits les plus répandus est celui de l’individu parti en quête de sa propre vérité professionnelle, comme un héros solitaire devant trouver sa voie. Cette vision est profondément ancrée dans une culture occidentale qui valorise l’individualisme et l’autonomie. On imagine souvent la personne en pleine réflexion, isolée, cherchant au fond d’elle-même la réponse à la question « Que veux-je vraiment ? ». La réalité, étayée par les recherches en psychologie sociale et organisationnelle, est tout autre. Le sens au travail est largement une construction sociale et relationnelle. Il émerge des interactions, des feedbacks et du sentiment d’appartenance à une communauté. Les travaux de chercheurs comme Amy Wrzesniewski sur le « job crafting » montrent que les employés recréent activement leurs tâches, leurs relations et leur perception du travail grâce à leurs interactions avec les collègues, les clients et la culture d’entreprise. Le sens n’est pas une perle rare cachée au fond de soi, mais un tissu que l’on tisse quotidiennement avec les autres. Un développeur ne trouvera pas nécessairement du sens uniquement dans le code qu’il écrit, mais dans la façon dont son application résout un problème pour un utilisateur, dans les collaborations avec son équipe pour surmonter un défi technique, ou dans la reconnaissance reçue par son manager. La réalité est donc que le sens se cultive collectivement.

Mythe n°2 : Le sens au travail est intrinsèque à certaines professions

Il existe une hiérarchie implicite des métiers « nobles » et porteurs de sens. En haut de l’échelle, on trouve souvent le médecin, l’infirmier, l’enseignant, le travailleur social ou l’artiste. À l’inverse, des métiers perçus comme plus « terrestres » ou commerciaux, comme vendeur, comptable ou ouvrier à la chaîne, sont souvent considérés comme dépourvus de sens par nature. C’est une vision réductrice et erronée. Le sens n’est pas une propriété inhérente à un titre de poste ou à un secteur d’activité. Il réside dans la perception et l’interprétation que l’individu a de sa contribution. Un éboueur peut trouver un profond sentiment de sens en contribuant à la salubrité publique et à la santé de sa ville. Un comptable peut voir du sens dans le fait d’aider une petite entreprise familiale à rester financièrement saine et à préserver les emplois de ses collègues. Un commercial peut trouver du sens en connectant un client avec un produit ou un service qui améliore véritablement sa vie ou son business. La réalité est que chaque profession offre des opportunités de créer de la valeur et de la signification. Le défi n’est pas de choisir la « bonne » profession, mais de découvrir ou de créer les dimensions significatives dans n’importe quel rôle que l’on occupe.

Mythe n°3 : Un travail qui a du sens est forcément un travail passionnant et épanouissant 24h/24

La culture des « passion jobs » nous a vendu l’idée que si vous aimez ce que vous faites, vous ne travaillerez jamais un jour de votre vie. Cette promesse idyllique est dangereuse. Elle crée une attente irréaliste selon laquelle un travail significatif doit être une source de joie et d’excitation constante. En réalité, même les métiers les plus porteurs de sens comportent leur lot de tâches fastidieuses, de frustrations, de stress et de moments d’ennui. Un chirurgien cardiaque sauve des vies, mais doit aussi remplir une paperasse administrative interminable. Un artiste peintre vit des moments d’extase créative, mais doit aussi gérer la promotion de son travail, les négociations de prix et les périodes de doute. La psychologie du travail nous apprend que le sens est souvent lié à la perception d’un impact et d’une cohérence avec ses valeurs, et non à une euphorie permanente. Accepter que les difficultés, les contraintes et les moments de routine font partie intégrante de tout parcours professionnel est crucial. La réalité est que le sens peut coexister avec la difficulté ; il peut même en être renforcé, car surmonter des obstacles donne de la valeur à l’objectif final.

Mythe n°4 : Le sens est une découverte soudaine, un « Eurêka ! »

Nous adorons les histoires de reconversion radicale : le banquier qui quitte tout pour ouvrir une ferme biologique, l’ingénieur qui devient professeur de yoga. Ces récits véhiculent l’idée que le sens se trouve dans un changement brusque et spectaculaire, une révélation soudaine qui illumine notre voie. Cette vision est romancée. Pour la grande majorité des gens, le sens au travail n’est pas une découverte ponctuelle, mais un processus lent, graduel et continu de construction et d’ajustement. C’est une quête, pas une trouvaille. Les recherches montrent que le sens se construit par de petites actions quotidiennes : maîtriser une nouvelle compétence, recevoir un remerciement d’un collègue, comprendre comment son travail s’inscrit dans un projet plus large, ou simplement bien accomplir une tâche. C’est un travail de « bricolage » permanent, où l’on ajuste ses attentes, ses actions et son interprétation de son rôle. Attendre le coup de foudre professionnel peut mener à l’inaction et à la frustration. La réalité est qu’il faut être actif dans la culture du sens, plutôt que passif dans son attente.

Mythe n°5 : Le salaire et les avantages matériels sont l’ennemi du sens

Une croyance très répandue oppose le matériel au spirituel, l’argent au sens. On pense souvent qu’un travail très bien rémunéré est par essence aliénant, tandis qu’un travail passionnant mais mal payé serait forcément plus « authentique ». Cette dichotomie est fausse. La rémunération et les conditions de travail sont des dimensions fondamentales de la relation d’emploi. La théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan) souligne que le besoin de sécurité financière (un besoin psychologique de base) est un prérequis nécessaire, bien que non suffisant, à l’épanouissement. Un salaire perçu comme juste est une reconnaissance tangible de la valeur apportée par l’individu. Il contribue au sentiment d’équité et de respect, qui sont des composantes essentielles du sens. Se sentir exploité ou constamment stressé par des fins de mois difficiles est un puissant frein à l’épanouissement professionnel. La réalité est que la rémunération et le sens ne sont pas en opposition, mais peuvent se renforcer mutuellement. Un salaire décent permet de se concentrer sur les aspects les plus significatifs du travail sans être distrait par l’inquiétude financière.

Mythe n°6 : Le sens au travail est un luxe réservé à ceux qui ont une sécurité financière

Ce mythe est le corollaire du précédent. Il laisse entendre que la quête de sens n’est permise qu’après avoir atteint un certain confort matériel, que c’est une préoccupation de « privilégiés ». Cette idée est non seulement fausse, mais aussi profondément inégalitaire. La recherche de signification, de contribution et de reconnaissance est un besoin humain universel, quel que soit le niveau de revenu. Dans des contextes de travail très précaires ou physiquement éprouvants, le sens peut prendre des formes différentes mais tout aussi cruciales : la fierté de subvenir aux besoins de sa famille, le respect gagné parmi ses pairs par son professionnalisme, la solidarité qui unit une équipe dans l’adversité, ou la simple dignité trouvée dans l’accomplissement d’une tâche difficile. Nier cette quête sous prétexte de précarité, c’est nier une part de l’humanité des travailleurs. La réalité est que le besoin de sens est transversal et que les organisations, quel que soit leur secteur, ont la responsabilité de créer des environnements où chaque employé peut percevoir la valeur de sa contribution.

Mythe n°7 : Une fois trouvé, le sens au travail est acquis pour toujours

Enfin, nous avons tendance à concevoir le sens comme un état stable, un point d’arrivée. On pense : « Une fois que j’aurai trouvé LE job qui a du sens, tout sera réglé. » Cette vision statique est en décalage avec la nature dynamique de notre vie professionnelle et personnelle. Le sens au travail n’est pas une destination, mais un compagnon de route qui évolue avec nous. Un travail qui avait beaucoup de sens à 30 ans peut en perdre à 50 ans, parce que nos valeurs, nos priorités familiales ou nos aspirations ont changé. Une restructuration dans l’entreprise, un changement de manager, l’arrivée de nouvelles technologies peuvent aussi altérer notre perception du sens. La pandémie de COVID-19 en est un exemple frappant : elle a conduit des millions de personnes à reconsidérer radicalement ce qui était important pour elles dans leur vie professionnelle. La réalité est que le sens au travail nécessite un entretien constant. Il faut régulièrement réévaluer sa situation, se reconnecter à ses motivations profondes et être prêt à re-créer du sens lorsque les circonstances changent.

En conclusion, démystifier ces mythes nous libère d’attentes souvent impossibles à atteindre. Le sens au travail n’est ni une quête solitaire, ni une caractéristique fixe d’un métier, ni un état de félicité permanente. C’est un processus relationnel, dynamique et accessible à tous, qui se construit dans l’action et l’interaction au quotidien. En abandonnant l’idée d’une révélation soudaine et en acceptant la dimension parfois difficile de tout travail, nous nous donnons les moyens de cultiver un rapport plus authentique et plus résilient à notre vie professionnelle. Le véritable enjeu n’est peut-être pas de « trouver » un travail qui a du sens, mais de savoir en créer un, quel que soit le poste que l’on occupe.

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