La perte d’un proche est une épreuve douloureuse qui bouleverse nos vies. Pourtant, malgré l’universalité de cette expérience, de nombreuses idées reçues et erreurs persistent dans notre façon d’aborder le deuil. Ces malentendus peuvent aggraver la souffrance ou prolonger inutilement le processus de guérison. Dans cet article, nous explorons les erreurs les plus courantes liées au deuil, afin de mieux comprendre comment traverser cette période difficile avec bienveillance envers soi-même et les autres.
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Croire que le deuil suit un calendrier précis
L’une des erreurs les plus répandues est de penser que le deuil obéit à des étapes linéaires et prévisibles. Le modèle des « 5 étapes du deuil » (déni, colère, marchandage, dépression, acceptation) de Kübler-Ross est souvent mal interprété. En réalité, le processus est bien plus complexe et individuel. Certaines personnes peuvent ressentir ces émotions dans un ordre différent, les revivre plusieurs fois, ou en expérimenter d’autres non mentionnées dans ce modèle. Par exemple, un veuf peut ressentir de la colère des années après le décès de sa conjointe, lors d’un anniversaire particulier. Il est crucial de comprendre qu’il n’existe pas de délai « normal » pour faire son deuil. Une étude de l’Université de Yale a montré que 10% des personnes endeuillées présentent encore des symptômes de deuil compliqué après 18 mois, sans que cela ne soit pathologique.
Minimiser ou nier sa douleur
Beaucoup de personnes en deuil tentent de rationaliser leur souffrance (« Il avait 80 ans, c’était son temps », « Au moins, elle ne souffre plus »). Bien que ces pensées puissent apporter un certain réconfort, elles ne doivent pas servir à étouffer ses émotions. Le psychologue Robert Neimeyer souligne que le deuil nécessite une « reconstruction de sens », un processus actif qui implique de reconnaître pleinement la perte. Une mère ayant perdu son enfant peut entendre « Tu es jeune, tu pourras en avoir d’autres », une phrase qui nie l’unicité du lien et la spécificité de sa douleur. La thérapeute en deuil Claire Bidard recommande plutôt des rituels personnels (écrire une lettre, créer un album photo) pour honorer la réalité de la perte.
Comparer son deuil à celui des autres
Chaque relation étant unique, chaque deuil l’est également. Pourtant, il est courant de se juger (« Mon frère semble mieux le supporter, je dois être faible »). La psychologue Mary-Frances O’Connor explique dans son livre « The Grieving Brain » que notre cerveau traite le deuil de manière très personnelle, selon la nature du lien, nos expériences passées et même notre biologie. Un employé peut ressentir un choc intense après le décès d’un collègue proche, même sans lien familial, parce que cette personne occupait une place particulière dans son quotidien. Les comparaisons sont non seulement inutiles, mais elles peuvent mener à une culpabilité paralysante qui retarde le processus de guérison.
S’isoler socialement
Le besoin de solitude est normal dans le deuil, mais un isolement prolongé peut être nocif. La recherche montre que le soutien social active les systèmes de régulation émotionnelle du cerveau. Pourtant, beaucoup évitent les contacts par crainte de « déranger », ou parce que les autres ne savent pas comment réagir. Le Dr. Kenneth Doka parle de « deuil disqualifié » lorsque l’entourage minimise la perte ou évite le sujet. Plutôt que de refuser systématiquement les invitations, il peut être utile de fixer des limites claires (« Je viendrai pour le café, mais pas pour le dîner »). Les groupes de soutien, même en ligne, offrent un espace où partager sans jugement.
Chercher à « remplacer » la personne disparue
Cette erreur se manifeste de plusieurs façons : avoir un autre enfant rapidement après la perte d’un bébé, se remarier trop vite, ou même adopter les hobbies du défunt comme tentative de connexion. Le psychologue John Bowlby, pionnier de la théorie de l’attachement, explique que le deuil implique de réorganiser le lien, non de le rompre ou de le reproduire. Une étude du Journal of Family Psychology a suivi des parents endeuillés qui avaient rapidement conçu un « enfant de remplacement » : 68% rapportaient des difficultés à établir une relation authentique avec cet enfant, projetant souvent des attentes irréalistes. Il est plus sain de créer de nouveaux rôles et rituels qui honorent la mémoire sans tentative de substitution.
Ignorer les manifestations physiques du deuil
Le deuil n’est pas qu’émotionnel – il a des effets physiologiques mesurables. Une recherche publiée dans Psychosomatic Medicine a révélé que les personnes en deuil ont un risque accru de problèmes cardiaques, d’affaiblissement immunitaire et de troubles du sommeil. Pourtant, beaucoup négligent ces symptômes (« C’est normal, je suis triste »). Des manifestations comme la perte d’appétit persistante, les vertiges ou les douleurs musculaires doivent être prises au sérieux. Le psychiatre Bessel van der Kolk souligne dans son travail sur le trauma que le corps « garde les comptes » du chagrin. Des techniques simples comme des exercices de respiration, des marches régulières ou des séances de massage peuvent aider à réguler ces effets somatiques.
Penser qu’on doit « tourner la page » rapidement
La pression sociale à « passer à autre chose » est l’une des erreurs les plus dommageables. Les cartes de condoléances qui disent « Sois fort » ou « La vie continue » envoient un message implicite que l’expression ouverte de la tristesse est inappropriée. La théoricienne du deuil Tonkin propose le modèle de la « croissance autour du chagrin » : la douleur ne disparaît pas, mais notre vie s’élargit autour d’elle. Par exemple, un veuf peut reprendre le jardinage qu’il partageait avec sa femme, non comme un « dépassement » du deuil, mais comme une façon de continuer leur lien. Les neurosciences montrent que le cerveau apprend à vivre avec l’absence, pas à l’effacer. Accepter que certaines blessures ne « guérissent » pas complètement peut paradoxalement apporter plus de paix que la quête d’une impossible « closure ».
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