Le dîner touche à sa fin, les assiettes sont presque vides, et la conversation dérive naturellement vers le travail. « Et toi, ça va au bureau ? » Une question si simple, mais qui peut déclencher un véritable torrent d’émotions. Parfois, c’est l’enthousiasme qui prend le dessus, le visage qui s’illumine en parlant d’un projet passionnant. D’autres fois, c’est un haussement d’épaules résigné, un « bof, comme d’habitude » qui en dit long sur une forme de lassitude. Au-delà des anecdotes sur les collègues ou la charge de travail, c’est souvent une quête plus profonde qui cherche à s’exprimer : celle du sens. Comment partager cette dimension essentielle de notre vie professionnelle avec ceux qui comptent le plus, sans tomber dans le jargon ou le monologue ? Comment transformer ces échanges en véritables conversations qui nourrissent nos relations et notre propre réflexion ? Explorons ensemble les clés pour aborder sereinement et profondément la question du sens au travail avec vos proches.
📚 Table des matières
- ✅ Créer un espace de dialogue sécurisant et bienveillant
- ✅ Dépasser la simple anecdote pour explorer les valeurs profondes
- ✅ Utiliser des questions ouvertes pour approfondir la réflexion
- ✅ Accueillir les doutes et les remises en question sans jugement
- ✅ Transformer la conversation en actions concrètes et partagées
- ✅ Naviguer ensemble face au manque de sens ou au burn-out
Créer un espace de dialogue sécurisant et bienveillant
Avant même d’aborder le fond du sujet, la condition sine qua non pour une conversation authentique sur le sens au travail est l’établissement d’un climat de confiance. Le travail est un sujet souvent chargé émotionnellement, lié à notre identité, notre estime de soi et notre sécurité financière. Aborder la question du sens, c’est toucher à quelque chose de très personnel, parfois vulnérable. Il est donc crucial de s’assurer que l’environnement est propice à un partage sincère. Cela commence par le choix du moment et du lieu. Évitez les discussions à la va-vite entre deux portes, ou lorsque l’un de vous est fatigué ou stressé. Privilégiez un moment calme, où vous êtes tous les deux disponibles mentalement, comme lors d’une promenade, d’un repas sans distraction ou d’un moment dédié à la conversation.
La bienveillance active est votre meilleur alliée. Elle se manifeste par une écoute véritable, sans interruption, où vous êtes pleinement présent à l’autre. Votre langage non-verbal est tout aussi important : un regard attentif, une posture ouverte, des hochements de tête encourageants. Évitez les réactions impulsives comme le « Mais c’est terrible ce que tu me dis ! » ou les conseils immédiats du type « Tu devrais démissionner tout de suite ! ». Ces réactions, bien qu’issues d’une bonne intention, peuvent fermer la conversation. À la place, validez les émotions de votre proche : « Je vois que cette situation te met vraiment en difficulté, c’est compréhensible » ou « Ta passion pour ce projet est vraiment communicative ». Cette validation n’équivaut pas à une approbation de la situation, mais à une reconnaissance de son vécu émotionnel, ce qui est fondamental pour qu’il se sente entendu et en sécurité.
Dépasser la simple anecdote pour explorer les valeurs profondes
Les conversations sur le travail ont souvent tendance à rester en surface : le dernier délai serré, le comportement agaçant d’un collègue, la réunion interminable. Si ces anecdotes sont un point de départ, la conversation sur le sens nécessite d’aller plus loin, vers ce qui se cache derrière ces événements : les valeurs individuelles. Le sens au travail est largement une question d’alignement entre nos activités quotidiennes et nos valeurs profondes (comme la créativité, l’entraide, la justice, l’excellence, l’autonomie, etc.). Votre rôle est d’aider votre proche à identifier ces valeurs à travers ses récits.
Prenons un exemple concret. Votre conjoint.e se plaint d’un nouveau processus bureaucratique qui, selon lui/elle, « ralentit tout le monde pour rien ». Au lieu de simplement acquiescer, vous pouvez l’aider à creuser : « Qu’est-ce qui te dérange le plus dans cette nouvelle procédure ? Est-ce que c’est le sentiment de perdre du temps, le manque de confiance qu’elle semble impliquer, ou le fait qu’elle t’empêche de bien faire ton travail ? » La réponse vous orientera vers une valeur sous-jacente : l’efficacité, la confiance, ou le souci de la qualité. De la même manière, s’il/elle raconte avec enthousiasme avoir aidé un nouveau collègue, vous pourriez explorer : « Qu’est-ce qui t’a le plus plu dans cette situation ? Le fait de transmettre ton savoir, de sentir que tu as fait une différence pour lui, ou de renforcer l’esprit d’équipe ? » Cela révèle des valeurs comme la transmission, l’impact ou la collaboration. En aidant votre proche à mettre des mots sur ces moteurs invisibles, vous l’aidez à mieux comprendre les sources de son épanouissement ou de sa frustration.
Utiliser des questions ouvertes pour approfondir la réflexion
La qualité de la conversation dépend en grande partie de la qualité des questions posées. Les questions fermées (celles qui appellent une réponse par « oui » ou « non ») tuent l’échange. Les questions ouvertes, en revanche, invitent à la réflexion, à l’approfondissement et au partage d’émotions. Elles commencent généralement par « Comment », « Qu’est-ce que », « De quelle manière », « Pourquoi » (à utiliser avec délicatesse pour éviter de mettre la personne sur la défensive).
Voici une série de questions puissantes que vous pouvez adapter pour guider la discussion sur le sens :
- Sur les moments forts : « Qu’est-ce qui, dans ta journée ou ta semaine, t’a donné le plus d’énergie ? Quel moment t’a fait te sentir vraiment fier.e ou utile ? »
- Sur l’impact : « À ton avis, quelle est la plus grande contribution de ton travail, même petite, à l’équipe, aux clients ou à la société ? »
- Sur les compétences : « Quelles sont les qualités que tu aimes le plus utiliser dans ton travail ? Celles pour lesquelles on te complimente souvent ? »
- Sur l’alignement : « Si tu devais décrire l’idéal de ce que devrait être ton travail, qu’est-ce qui serait différent de la situation actuelle ? »
- Sur le futur : « En regardant vers l’avenir, qu’est-ce que tu aimerais accomplir ou apprendre grâce à ton travail ? »
Ces questions ne cherchent pas une solution immédiate, mais à ouvrir un espace de exploration. Laissez des silences après avoir posé une question. C’est dans ces pauses que la réflexion personnelle la plus riche peut émerger.
Accueillir les doutes et les remises en question sans jugement
Il est fort probable que la conversation fasse émerger non seulement des certitudes, mais aussi des doutes, des contradictions et des zones d’ombre. « J’aime mon métier, mais je déteste la culture d’entreprise. » « Mon salaire est bon, mais le travail n’a aucun impact. » Ces tensions sont normales et saines. Elles sont le signe d’une réflexion authentique. Votre rôle n’est pas de les résoudre à la place de votre proche, ni de lui donner raison ou tort, mais de l’accompagner à les traverser.
Face à un doute, évitez les phrases qui minimisent (« Ce n’est pas si grave ») ou qui dramatisent (« C’est une crise existentielle ! »). Pratiquez plutôt l’écoute empathique et la reformulation : « Si je comprends bien, tu es partagé.e entre le besoin de sécurité que te procure ce poste et l’envie de retrouver une mission qui te passionne davantage. » Cette simple reformulation montre que vous avez entendu la complexité de sa situation et lui permet de se l’approprier plus clairement. Vous pouvez aussi normaliser ces doutes : « Il est très fréquent de se poser ce genre de questions, surtout à certaines étapes de sa carrière. Cela montre que tu es en train de murir une réflexion importante. » Cette normalisation désamorce l’anxiété qui peut accompagner le fait de ne pas avoir de réponse toute faite. L’objectif est de transformer le doute d’un problème anxiogène en une énergie de recherche et de croissance.
Transformer la conversation en actions concrètes et partagées
Une conversation sur le sens ne doit pas rester un exercice purement intellectuel. Pour qu’elle ait un impact tangible sur le bien-être de votre proche, il est utile de la faire déboucher sur de petites actions concrètes. Ces actions ne sont pas nécessairement des changements radicaux (comme une démission), mais plutôt des « expérimentations » qui permettent de tester des pistes et de regagner un sentiment de contrôle.
À la fin de l’échange, vous pouvez proposer : « Sur la base de ce dont on a parlé, est-ce qu’il y a une petite chose, même très simple, que tu aimerais essayer de faire différemment dans les prochains jours ou semaines ? ». Cela peut être :
- Prendre 15 minutes par jour pour travailler sur un dossier qui passionne vraiment.
- Oser exprimer une idée en réunion qui correspond davantage à ses valeurs.
- Contacter une personne dont le métier l’inspire pour un café virtuel.
- Discuter avec son manager pour redéfinir une partie de ses missions.
- Suivre une formation en ligne sur un sujet qui le/la motive.
L’idée est de passer de la réflexion à un micro-engagement. En tant que proche, vous pouvez aussi vous proposer comme « partenaire de responsabilisation » : « Veux-tu que je te redemande où tu en es avec cette idée la semaine prochaine ? ». Ce suivi bienveillant montre votre soutien continu et aide à maintenir la dynamique. C’est une manière concrète de dire « Je suis avec toi dans cette démarche ».
Naviguer ensemble face au manque de sens ou au burn-out
Parfois, la conversation révèle une détresse plus profonde, un sentiment persistant de vide ou un épuisement professionnel (burn-out) lié à une perte de sens totale. Dans ces cas, l’approche doit être encore plus délicate et soutenante. Votre rôle n’est pas de jouer les thérapeutes, mais d’être un pilier émotionnel et un guide vers une aide professionnelle si nécessaire.
Les signaux d’alerte peuvent être : un cynisme constant envers le travail, un désengagement émotionnel (« Je m’en fous, de toute façon »), une fatigue intense qui ne disparaît pas avec le repos, ou des symptômes physiques (maux de tête, troubles du sommeil). Face à cela, la priorité absolue est la santé et le repos. Encouragez votre proche à consulter son médecin traitant qui pourra poser un diagnostic et orienter vers un psychologue ou un psychiatre. Proposez votre aide pratique pour alléger son quotidien (courses, tâches ménagères) afin de lui libérer de l’énergie pour se reposer. Surtout, évitez les phrases comme « Secoue-toi un peu » ou « C’est dans ta tête », qui sont invalidantes. Répétez-lui que son bien-être passe avant tout et que chercher de l’aide est un signe de force, non de faiblesse. Dans ces moments difficiles, la conversation sur le sens est mise en pause au profit d’une présence silencieuse et réconfortante. Le sens pourra redevenir un sujet lorsque les forces reviendront.
Parler de sens au travail avec ses proches est bien plus qu’un simple échange d’idées. C’est un acte relationnel fort qui renforce les liens, une occasion unique de se découvrir mutuellement sous un jour nouveau et de s’épauler dans une quête fondamentale de l’existence. En créant un espace de confiance, en posant les bonnes questions et en accompagnant sans jugement, vous transformez une simple conversation en un véritable levier d’épanouissement personnel et professionnel. Alors, la prochaine fois que la question « Et ton travail, ça va ? » surgira, vous serez armé.e pour en faire un moment de partage bien plus riche et significatif.
Voir plus d’articles sur la psychologie
Laisser un commentaire