L’évolution de asexualité au fil du temps

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Pendant des siècles, le désir sexuel a été considéré comme une force universelle et innée, un moteur fondamental de l’existence humaine. Dans ce paysage, l’idée qu’une personne puisse ne ressentir aucune attirance sexuelle était pratiquement inconcevable, souvent réduite à une pathologie, un vœu religieux ou un simple manque à combler. Pourtant, une partie de la population a toujours vécu cette réalité. L’histoire de l’asexualité est celle d’une lente et difficile émergence de l’ombre vers la lumière, un parcours semé d’incompréhensions, de luttes pour la reconnaissance et d’une quête identitaire collective. Cet article retrace cette fascinante évolution, des temps où elle était une non-existence conceptuelle à son affirmation actuelle en tant qu’orientation sexuelle légitime et riche de nuances.

L’ère pré-scientifique : Invisibilité et confusion pathologique

Avant le XXe siècle, le concept d’asexualité en tant qu’identité n’existait tout simplement pas. Dans un monde où la survie et la procréation étaient centrales, l’absence de désir sexuel était incompréhensible en dehors de cadres très spécifiques, principalement religieux. Les personnes ne ressentant pas d’attirance sexuelle étaient donc invisibles en tant que groupe distinct. Leurs expériences étaient soit ignorées, soit catégorisées à tort dans des cases préexistantes. La figure la plus socialement acceptable était celle du ou de la célibataire dévot(e), ayant fait vœu de chasteté pour se consacrer à Dieu. Dans ce contexte, l’absence de sexualité était un choix spirituel, une élévation, et non une absence de désir innée. En dehors de ce cadre, les interprétations étaient nettement plus négatives. Pour les femmes, l’absence d’intérêt pour le sexe était souvent attribuée à la « frigidité », un terme profondément péjoratif et médicalisé qui impliquait un dysfonctionnement, une froideur émotionnelle ou un manque de féminité. On pensait qu’il s’agissait d’un trouble hystérique ou d’une maladie de l’utérus. Pour les hommes, la situation était encore plus complexe. Un homme sans désir sexuel pouvait être suspecté d’impuissance, d’être un « eunuque », ou son manque d’intérêt pour les femmes pouvait le faire accuser d’homosexualité, alors sévèrement réprimée. Il n’existait aucun vocabulaire pour décrire une absence d’attirance envers quiconque. La littérature et les journaux intimes de l’époque regorgent de récits de personnes se sentant anormales, brisées ou se forçant à remplir un rôle conjugal qu’elles ne comprenaient pas, sans jamais avoir les mots pour nommer leur différence. Elles vivaient dans un isolement profond, convaincues d’être seules au monde.

Les premiers balbutiements de la sexologie : Une lente émergence

L’avènement de la sexologie au début du XXe siècle, avec des figures comme Magnus Hirschfeld et plus tard Alfred Kinsey, a jeté les premières bases conceptuelles permettant d’envisager l’asexualité. Hirschfeld, un médecin allemand pionnier des droits des homosexuels, incluait dans ses typologies sexuelles la notion de « anérotisme » (absence de désir sexuel). Mais c’est le travail monumental d’Alfred Kinsey dans les années 1940 et 1950 qui a fourni la première preuve quantitative de l’existence de l’asexualité. Dans ses rapports sur le comportement sexuel de l’homme et de la femme, Kinsey a créé l’échelle hétéro-homosexuelle qui porte son nom (l’échelle de Kinsey), allant de 0 (exclusivement hétérosexuel) à 6 (exclusivement homosexuel). Il a ajouté une catégorie distincte : la catégorie « X ». Cette catégorie était destinée aux individus qui ne rapportaient « aucun contact ou réaction socio-sexuelle ». Environ 1,5% de la population masculine adulte interrogée a été classée dans cette catégorie. Bien que la méthodologie de Kinsey soit aujourd’hui critiquée, l’introduction de la catégorie X fut une révolution. Pour la première fois, l’absence d’attirance sexuelle était quantifiée et représentée sur un spectre de la sexualité humaine, lui donnant une existence statistique et scientifique. Cependant, Kinsey et ses contemporains ont largement interprété cette absence comme un déficit ou un retard de développement, une pathologie à soigner, plutôt que comme une orientation valide. Le modèle médical dominant de l’époque voyait la libido comme une pulsion saine et nécessaire ; son absence était donc nécessairement un trouble. Cette vision a persisté pendant des décennies, orientant la recherche et la pratique clinique vers une quête de « guérison » pour les personnes asexuelles.

L’ère d’Internet : La révolution de la communauté et de la visibilité

Le tournant décisif dans l’histoire de l’asexualité est sans conteste l’avènement d’Internet à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Pour la première fois, des personnes isolées aux quatre coins du monde ont pu se connecter, partager leurs expériences et se rendre compte qu’elles n’étaient pas seules. Les forums de discussion, les groupes de mailing lists et les premiers réseaux sociaux ont été le terreau fertile d’une prise de conscience collective. La création de la « Asexual Visibility and Education Network » (AVEN) en 2001 par David Jay a été l’événement fondateur de la communauté asexuelle moderne. Le site web d’AVEN est rapidement devenu le point de ralliement mondial pour toute personne se questionnant sur son absence d’attirance sexuelle. Son forum a permis des milliers de conversations, de témoignages et de débats qui ont permis de construire une identité commune, un vocabulaire partagé et une compréhension de ce que signifiait être asexuel. AVEN a également joué un rôle crucial dans la définition et la diffusion de la définition consensuelle de l’asexualité : « une personne qui ne ressent pas d’attirance sexuelle ». Cette simplicité et cette clarté ont été extrêmement puissantes. Internet a permis la création d’une culture asexuelle propre, avec ses symboles (comme le gâteau, souvent préféré au sexe), son code couleur (le noir, le gris, le blanc et le violet pour le drapeau asexuel) et ses sous-catégories identitaires (démisexualité, grey-asexualité). Cette communauté en ligne a été le moteur d’une visibilité sans précédent, organisant des « Ace Weeks » (semaines de sensibilisation à l’asexualité) et encourageant ses membres à en parler dans leur vie offline. La dynamique était désormais bottom-up : ce n’était plus la science qui définissait l’asexualité pour les gens, mais les gens qui définissaient leur expérience et la présentaient au monde.

La reconnaissance scientifique et médicale : Sortir du DSM

L’activisme en ligne et la visibilité croissante de la communauté asexuelle ont fini par avoir un impact direct sur le monde scientifique et médical. Le plus grand enjeu était le « Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux » (DSM) de l’American Psychiatric Association, la bible de la psychiatrie qui définit ce qui est considéré comme un trouble mental. Pendant des décennies, l’absence de désir sexuel était médicalisée sous le diagnostic de « Trouble de Désir Sexuel Hypoactif » (TDSH) ou « Désir Sexuel Inhibé ». Ces diagnostics ne faisaient aucune distinction entre une personne souffrant d’une baisse de désir qui lui cause de la détresse (par exemple, après un changement hormonal) et une personne asexuelle qui vit bien son absence de désir. Pour les asexuels, consulter un médecin ou un thérapeute pour une raison quelconque pouvait tourner au cauchemar, se soldant souvent par un diagnostic erroné et des propositions de traitement hormonal ou thérapeutique inappropriées pour « soigner » quelque chose qui n’était pas une maladie. Le travail de sensibilisation d’AVEN et d’autres associations, ainsi que les recherches émergentes, ont poussé les rédacteurs du DSM-5, publié en 2013, à revoir leur copie. Le nouveau diagnostic pour les troubles du désir est devenu le « Trouble de l’Intérêt/Réponse Sexuelle » (TIRS). Surtout, le manuel a introduit une clause d’exclusion cruciale : le trouble ne peut être diagnostiqué que si la personne éprouve une « détresse significative » à propos de son manque de désir, et cette détresse ne doit pas être mieux expliquée par une autre identité, comme l’asexualité. Cette modification, bien que subtile, était une victoire monumentale. Elle signifiait que la psychiatrie officielle reconnaissait implicitement que l’asexualité n’était pas un trouble mental, mais une variation naturelle de l’expérience humaine. Cette reconnaissance a offert une légitimité et une protection cruciales contre les thérapies abusives et les diagnostics forcés.

L’asexualité dans la culture populaire et les médias

La reconnaissance passe aussi par la représentation. Pendant longtemps, les personnages asexuels dans les films, les séries ou les livres étaient soit inexistants, soit des caricatures : le savant froid et détaché, la vieille fille aigrie, le robot ou l’extraterrestre dont l’absence de sexualité servait à souligner son inhumanité. L’émergence d’une communauté organisée a conduit à une demande croissante pour une représentation plus juste et nuancée. Les médias ont commencé à s’emparer du sujet, d’abord sous forme de reportages documentaires ou d’articles de magazines cherchant à expliquer ce « nouveau » concept au grand public. Peu à peu, des personnages explicitement asexuels ont fait leur apparition dans des œuvres de fiction. Un exemple souvent cité est celui de Todd Chavez dans la série animée « Bojack Horseman », dont le parcours pour découvrir et accepter son asexualité a été salué pour sa justesse et sa sensibilité. Dans la série « Sex Education », le personnage de Florence offre également une représentation positive. Dans la littérature, des auteurs comme Claire Kann (« Let’s Talk About Love ») ont placé des protagonistes asexuels au centre de romances young adult. Cette représentation, bien qu’encore rare, est cruciale. Elle permet aux jeunes qui se questionnent de se reconnaître, de mettre un mot sur ce qu’ils ressentent et de comprendre qu’ils font partie de la diversité humaine. Elle permet également au grand public de se familiariser avec le concept, brisant les stéréotypes et réduisant la stigmatisation. Chaque représentation positive dans un média populaire est un pas de plus vers la normalisation et l’acceptation sociale.

La recherche contemporaine et les nuances du spectre asexuel

Aujourd’hui, la recherche sur l’asexualité a considérablement mûri, passant de la question « Est-ce que ça existe ? » à « Comment cela fonctionne-t-il et se manifeste-t-il ? ». Les études neuroscientifiques tentent de comprendre s’il existe des corrélats cérébraux distincts, bien que les résultats soient encore préliminaires et qu’aucune « cause » unique ne soit recherchée, l’accent étant mis sur la naturalité de la variation. La psychologie sociale explore les expériences vécues des personnes asexuelles : leur bien-être mental, leurs stratégies pour naviguer dans un monde hypersexualisé, leurs modèles de relations amoureuses et amicales (les relations queer-platoniques, par exemple, qui transcendent l’amitié classique sans être romantiques au sens traditionnel, sont souvent explorées). Un des apports les plus significatifs de la communauté a été la conceptualisation riche et détaillée du spectre asexuel. On ne parle plus seulement d’asexualité comme d’un tout monolithique, mais d’un continuum d’expériences. La « grey-asexualité » (ou grisexualité) désigne les personnes qui ressentent une attirance sexuelle très rarement, seulement sous certaines conditions, ou avec une très faible intensité. La « démisexualité » décrit les personnes qui ne peuvent ressentir une attirance sexuelle qu’après avoir établi un fort lien émotionnel avec un partenaire. Ces nuances sont fondamentales car elles capturent la complexité de l’expérience humaine et évitent de créer de nouvelles cases rigides. La recherche actuelle reconnaît également la distinction cruciale entre désir sexuel (l’envie spontanée), libido (l’énergie sexuelle qui peut exister sans être dirigée vers quelqu’un), attirance romantique (le désir d’une relation amoureuse) et attirance esthétique ou sensitive. Une personne asexuelle peut ainsi avoir une libido, être hétéroromantique, homoromantique, biromantique ou aromantique, et apprécier la sensualité ou la beauté esthétique d’une personne sans pour autant éprouver d’attirance sexuelle. Cette compréhension fine a permis à des milliers de personnes de mieux se comprendre elles-mêmes.

Les défis actuels et les perspectives d’avenir

Malgré des progrès immenses, la communauté asexuelle fait encore face à de nombreux défis de taille. L’aphobie – la discrimination et les préjugés envers les personnes asexuelles – reste très répandue. Elle se manifeste souvent par l’invalidation (« Tu n’as juste pas trouvé la bonne personne », « C’est une phase »), la médicalisation (« Tu devrais faire vérifier tes hormones »), la pathologisation (« Tu dois avoir été traumatisé(e) ») ou carrément le déni de l’existence même de l’asexualité. Au sein même de la communauté LGBTQIA+, la place des personnes asexuelles et aromantiques (dont le A est pourtant présent dans l’acronyme) est parfois contestée, certains arguant qu’elles ne subissent pas les mêmes oppressions. Cette exclusion, souvent appelée « effacement asexuel », est une source de grande détresse. Les défis juridiques sont également présents, notamment dans des contextes où le fait de ne pas avoir de relations sexuelles peut être un motif de divorce pour « carence » ou où la capacité à être un bon parent peut être injustement remise en question. Les perspectives d’avenir, cependant, sont porteuses d’espoir. La recherche continue de se développer, apportant des données solides pour étayer la légitimité de l’orientation asexuelle. La visibilité ne cesse de croître, avec de plus en plus de personnalités publiques et d’influenceurs faisant leur coming out asexuel. L’enjeu majeur des prochaines années sera l’éducation : intégrer une information précise et déstigmatisante sur l’asexualité et le spectre asexuel dans


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