Mythes et réalités à propos de biphobie

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La biphobie, cette forme spécifique de discrimination et de stigmatisation envers les personnes bisexuelles, reste l’une des manifestations les plus insidieuses et mal comprises de l’intolérance au sein même de la communauté LGBTQIA+ et dans la société en général. Elle se niche souvent dans des blagues, des présupposés anodins et des stéréotypes profondément enracinés, rendant son identification et sa lutte d’autant plus complexes. Contrairement à une vision binaire de l’orientation sexuelle, la bisexualité existe dans un espace riche et nuancé, fréquemment invisibilisé ou caricaturé. Cet article se propose de déconstruire méthodiquement les mythes les plus tenaces entourant la biphobie pour révéler les réalités souvent douloureuses vécues par les personnes bi, et ainsi contribuer à une meilleure compréhension et à un véritable dialogue inclusif.

📚 Table des matières

Mythes et réalités à

Mythe n°1 : « La bisexualité n’est qu’une phase ou un caprice »

L’un des mythes les plus répandus et les plus invalidants est celui qui réduit la bisexualité à une simple étape transitoire, souvent attribuée aux adolescents en quête d’identité ou aux adultes en période de doute. Cette croyance nie catégoriquement la légitimité et la permanence de l’orientation bisexuelle. D’un point de vue psychologique, cela revient à invalider l’expérience vécue d’une personne, un processus connu sous le nom d’« invalidation émotionnelle », qui peut avoir des effets dévastateurs sur l’estime de soi et la santé mentale. La réalité, étayée par de nombreuses études longitudinales en psychologie du développement et en sexologie, est que la bisexualité est une orientation sexuelle stable et durable pour des millions de personnes à travers le monde. Le fait qu’une personne puisse explorer sa sexualité à un moment donné de sa vie n’enlève rien à la validité de celles et ceux pour qui l’attirance pour plusieurs genres est une caractéristique fondamentale et constante de leur être. Qualifier cela de « phase » est une tactique de marginalisation qui sert à maintenir une vision étroite et binaire des orientations sexuelles.

Mythe n°2 : « Les personnes bisexuelles sont nécessairement infidèles ou incapables de monogamie »

Ce stéréotype est profondément ancré dans une confusion grossière entre orientation sexuelle et comportement relationnel. L’orientation bisexuelle décrit le potentiel d’attirance romantique, émotionnelle et/ou sexuelle envers plus d’un genre. Elle ne dicte en rien la structure relationnelle qu’une personne choisit d’adopter. L’infidélité est un choix comportemental, une violation de confiance qui existe dans tous les groupes, quelle que soit l’orientation sexuelle. Associer spécifiquement la bisexualité à l’infidélité est une forme de biphobie qui essentialise et pathologise les personnes bi. En réalité, de nombreuses personnes bisexuelles sont parfaitement monogames et valorisent la fidélité au même titre que quiconque. D’autres peuvent opter pour des relations consensuellement non-monogames ou polyamoureuses, mais ce choix est indépendant de leur orientation et relève d’une préférence relationnelle et éthique partagée. Ce mythe est particulièrement pernicieux car il crée une méfiance injustifiée dans les relations amoureuses et sert souvent à justifier la jalousie maladive ou le contrôle abusif d’un partenaire.

Mythe n°3 : « La bisexualité renforce la binarité de genre et exclut les personnes non-binaires »

Cette critique, souvent émise depuis certaines franges de la communauté queer, mérite une analyse nuancée. Le terme « bisexualité » a une histoire longue et le préfixe « bi- » (deux) peut effectivement prêter à confusion, laissant penser qu’il ne reconnaît que deux genres (homme et femme). Cependant, la définition contemporaine et inclusive de la bisexualité, défendue par de grandes organisations comme BiNet USA et l’American Institute of Bisexuality, est bien plus large. Elle est souvent résumée par la phrase : « l’attirance pour plus d’un genre » ou « l’attirance pour son propre genre et pour d’autres genres ». Cette définition inclut explicitement les personnes non-binaires, genderqueer, et toutes les identités de genre qui existent en dehors du spectre binaire. De nombreuses personnes bisexuelles sont elles-mêmes non-binaires. Le problème ne réside donc pas dans l’identité bisexuelle elle-même, mais dans une interprétation littérale et réductrice de son étymologie. Accuser la bisexualité de renforcer la binarité est une forme de division au sein de la communauté qui occulte le fait que les personnes bi sont souvent en première ligne pour lutter contre toutes les normes de genre oppressives.

Mythe n°4 : « Les personnes bisexuelles ont simplement peur de faire leur ‘coming out’ gay ou lesbien »

Ce mythe, parfois appelé « le mythe de la passerelle », présente la bisexualité comme un refuge confortable pour les personnes gay ou lesbiennes qui n’auraient pas le courage de s’assumer pleinement. C’est une invalidation profonde de l’identité bi, qui la présente comme un mensonge ou une lâcheté. La réalité psychologique est tout autre. Faire son coming out en tant que personne bisexuelle comporte ses propres défis uniques, notamment le risque d’être mal compris, rejeté à la fois par les hétérosexuels et par une partie de la communauté gay, et de subir une invisibilisation constante. Ce n’est en aucun cas une option « plus facile ». Affirmer qu’une personne bisexuelle est en réalité gay, c’est lui imposer une identité qui ne lui correspond pas, ce qui est la définition même de l’oppression. Cela perpétue l’idée erronée que l’attirance pour le même genre est la seule « vraie » attraction et que l’attirance pour d’autres genres est soit accessoire, soit mensongère.

Mythe n°5 : « La biphobie est moins grave que l’homophobie »

Il est tentant, mais erroné, de créer une hiérarchie de l’oppression. La biphobie n’est pas « moins grave » ; elle est différente et présente des mécanismes et impacts spécifiques. Les personnes bisexuelles font face à un « double seuil de discrimination » : elles peuvent être stigmatisées par la société hétéronormative, mais aussi marginalisées et exclues au sein des espaces LGBTQIA+ qui devraient leur offrir un refuge. Cette exclusion communautaire est un facteur de risque psychosocial majeur. Les données de santé publique sont alarmantes : les personnes bisexuelles présentent des taux significativement plus élevés de dépression, d’anxiété, de comportements suicidaires et de précarité économique que leurs pairs gays, lesbiennes ou hétérosexuels. Cette détresse n’est pas due à leur orientation en soi, mais bien à la stigmatisation spécifique, à l’érosion constante causée par les micro-agressions, le rejet et l’invisibilité (le « bi-erasure ») qu’elles subissent. Nier la gravité de la biphobie, c’est contribuer à ces disparités en santé mentale.

Mythe n°6 : « Les personnes bisexuelles sont toujours prêtes pour des plans à trois »

Ce mythe sexualise et objectifie outrageusement les personnes bisexuelles, les réduisant à un fantasme hétérocentré, souvent au service du désir masculin. Il repose sur l’idée fausse que la bisexualité équivaut à une hypersexualité ou une disponibilité sexuelle permanente. En réalité, les personnes bisexuelles, comme tout le monde, ont des désirs, des limites et des préférences individuelles. Leur orientation ne les rend pas automatiquement intéressées par la non-monogamie, les relations de groupe ou tout autre type de pratique sexuelle. Présumer le contraire est une forme de harcèlement. Cela se manifeste souvent par des questions intrusives sur leur vie sexuelle ou des propositions non sollicitées et déplacées. Cette hypersexualisation a un impact concret : elle rend plus difficile pour les personnes bi d’être prises au sérieux dans leurs relations amoureuses, d’être perçues comme des partenaires potentielles pour une relation engagée et sérieuse, et renforce leur perception comme des objets plutôt que comme des sujets.

Mythe n°7 : « Les hommes bisexuels n’existent pas, ils sont tous gay »

Ce mythe est peut-être le plus toxique de tous, car il nie carrément l’existence même d’une catégorie entière de personnes. Il est alimenté par une culture machiste qui voit l’attirance entre hommes comme si dévalorisante que tout homme qui l’admettrait devrait forcément être exclusivement gay. La bisexualité masculine est ainsi effacée. La réalité scientifique, pourtant, est claire. Des études en neurosciences et en psychophysiologie ont montré que les patterns d’excitation sexuelle chez les hommes s’identifiant comme bisexuels correspondent bel et bien à une attirance significative pour les deux sexes. De plus, sur le plan épidémiologique, les hommes bisexuels existent et constituent une part importante de la population. Ce déni a des conséquences désastreuses en matière de santé publique (en rendant, par exemple, la prévention VIH moins adaptée à leurs réalités) et en santé mentale, forçant les hommes bi dans un closet supplémentaire où ils doivent constamment justifier leur propre existence, y compris auprès de leurs alliés supposés.

En conclusion, la biphobie, à travers ses mythes persistants, opère une violence subtile et constante qui isole, invalide et nuit gravement au bien-être des personnes bisexuelles. Démanteler ces récits falsificateurs est un travail essentiel de pédagogie et d’empathie. Il requiert une vigilance active, tant dans le langage quotidien que dans les représentations médiatiques et les politiques publiques. Reconnaître la pleine légitimité, la complexité et la beauté de la bisexualité est un pas crucial vers la construction de communautés véritablement inclusives où chaque individu peut s’épanouir sans avoir à nier une partie de son identité.

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